Saison
16
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Depuis son acte de naissance dans les années 50, l’IA s’est donnée comme mission de reproduire, sinon dépasser de manière logicielle, les différentes facettes de l’intelligence humaine : de la plus rationnelle (jouer au Go) à la plus animale (distinguer un chien d’un chat sur une image).
L’évolution récente la plus impressionnante de l’IA est sa capacité par sa force brute de trouver des solutions innovantes à des problèmes complexes : diagnostic médical, gestion économique, traduction, génie industriel, traitement des médias etc…
L’IA n’est pas qu’un sujet technologique, elle doit d’abord être abordée sous un prisme humain parce qu’elle touche à tout et passe par des processus apprenants. Loin de remplacer l’humain, elle peut lui faciliter la vie et lui permettre de faire plus vite et mieux.
L’IA serait même une source d’inspiration quasi infinie grâce à sa capacité à intégrer, analyser, comparer, corréler.
Nous sommes un peu à la croisée des chemins (c’est pour cela que nous osons parler de révolution) :
• Soit nous trouvons les conditions de réussite d’une collaboration vertueuse homme/machine
• Soit nous subissons ce qui se passe avec un risque de perte de vitesse et de déclassement.
Retour sur l’intervention d’Hugues Bersini, Directeur du laboratoire d'Intelligence Artificielle, IRIDIA, de l'Université Libre de Bruxelles, Membre de l'Académie Royale de Belgique
Extrait de la conférence
Synthèse intégrale et support disponibles dans l’espace membre
Un peu d’histoire
Nous sommes en 1950, Maître Alan Turing sur son génie perché n’a pas encore subi l’horrible «traitement de faveur» que l’on réservait aux homosexuels à cette époque.
Il a trente-huit ans, sa créativité est au zénith et encore inimaginable est le morceau de pomme empoisonnée qui mettra fin à ses jours. Autour de lui, et grâce à lui, de nombreux chercheurs prennent conscience qu’un ordinateur, dénommé par le maître «machine universelle», pourrait, par son câblage et sa programmation, produire le type de processus cognitif dont jusqu’à présent les humains se réservaient la primeur.
À l’instar d’une forêt neuronale inextricable d’où jaillissent souvenirs, prévisions, inférences et raisonnement, les mêmes souvenirs, prévisions, inférences et raisonnements pourraient jaillir d’une forêt inextricable, mais cette fois de transistors en silicium et de portes logiques.
Ce cerveau machine, Turing l’ambitionne aussi infiniment programmable que l’est notre cerveau, dont les mêmes neurones se voient sollicités pour des tâches cognitives d’une variété infinie.
Entre deux marathons dont les photos d’époque témoignent, il perce le mystère de ces niveaux empilés d’abstraction qui font de l’informatique aujourd’hui la technologie la plus extraordinaire, la plus envahissante et la plus déconcertante jamais produite par l’humain : machine universelle, machine à tout faire, universellement programmable et universellement intelligente.
Quand on l’interroge sur sa définition de l’intelligence dès lors que c’est d’ordinateur qu’il s’agit (il faudra attendre la conférence de Darthmouth en 1956 pour que le terme « intelligence artificielle » prenne vraiment son envol), il se trouve à ce point dépourvu qu’il s’en tire par une pirouette : plutôt qu’une définition, c’est un test qu’il propose, que dit-on un test, une performance (...)
Les deux IA : inconsciente et consciente
Ainsi, pour de nombreux types de tâches cognitives que les logiciels aujourd’hui réussissent très décemment et même avec tous les honneurs (comme les jeux de société, la conduite automobile et la traduction), il existe en effet deux manières très différentes d’accomplir ces tâches.
La première que nous taxerons « d’inconsciente », c’est-à-dire sans réelle explicitation de l’expertise humaine, sans règle, sans nul besoin de décomposer la tâche pour la simplifier et la soumettre au jugement humain, offre une très large place à l’apprentissage. Cet apprentissage s’effectue soit au départ de myriades de réalisations humaines passées, soit par simples essais/erreurs, conduisant graduellement à des logiciels qui se complexifient et s’opacifient d’autant.
On qualifiera la deuxième de « consciente ». Cette fois, l’expertise humaine reste toujours de mise, essentielle, la tâche se trouvant décomposée et découpée en séquences pour y glisser justement cette expertise.
Cette IA-là est à l’origine d’algorithmes dont la transparence et la patte humaine permettent encore et dans une large partie d’en comprendre le fonctionnement. C’est la bonne vieille IA d’alors, qui ne pouvait se passer complètement de nous ; mieux encore, qui gagnait en rapidité et en performance lorsqu’elle suivait le guide.
Malgré le succès croissant et l’engouement de plus en plus marqué au vu des performances décoiffantes de l’IA inconsciente, il n’en reste pas moins que cette tension entre les deux IA est vieille comme l’intelligence artificielle elle-même. (...)
Méfions-nous de l’IA inconsciente
L’IA inconsciente gagne chaque jour, chaque heure, chaque microseconde davantage en autonomie. Elle doit une large part de son succès à la puissance de nos ordinateurs, leur parallélisme croissant, tel le recours aux cartes graphiques plutôt qu’aux processeurs classiques, ou l’utilisation de clusters (et demain l’ordinateur quantique ?).
À même d’éviter de plus en plus les ruptures évoquées précédemment, elle n’a plus jamais recours à l’introspection, à s’interroger sur son comportement, ses productions et à solliciter le cas échéant notre expertise, aussi modeste soit-elle. Nous vivons en ce moment un véritable paradoxe.
Chez nous, la complexité et le caractère inhabituel des situations à affronter nous obligent à sortir de nos bien confortables recettes inconscientes, à nous servir péniblement de notre conscience à la recherche de nouvelles solutions (par la simplification ou la découpe du problème, la recherche de situations quelque peu analogues).
En IA, ce même type de situation incite à contourner toute explicitation biaisante et peu satisfaisante, afin de s’en remettre au seul apprentissage, l’essai/erreur, et à la compilation de myriades d’expériences humaines ayant dû précédemment affronter ces problèmes.
Restons pourtant vigilants. Malgré ce que beaucoup aimeraient penser, fournir des données brutes à un algorithme pour lui faire apprendre une tâche n’a rien de vraiment objectif. Il est rassurant de penser que le processus d’apprentissage machine pourrait supprimer les biais que le programmeur met naturellement dans un programme qu’il fabriquera « à la main », de par les choix techniques et logiques qu’il doit opérer durant sa conception.
En fait, il n’en est rien ; on a plus que souvent simplement déplacé le problème du biais du concepteur aux données d’apprentissage. (...)
L’IA : Ultime recours face à un monde devenu trop complexe
Le monde est devenu bien trop complexe pour en confier la gestion aux seuls gouvernants en chair et en os. Les lourds nuages noirs chargés d’orage qui nous menacent, comme :
• l’économie mondialisée et les crises qui s’ensuivent régulièrement,
• l’explosion des inégalités,
• le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement,
• la détérioration de l’habitat, la transition énergétique inéluctable,
• l’agriculture qui s’intensifie en tout sauf en bienfaits pour la santé,
• les fractures communautaires et la flambée du terrorisme,
exigent une meilleure compréhension et interprétation des phénomènes, suivies de délibérations approfondies pour en trouver les parades et les issues.
De son côté, l’IA – meilleur joueur d’échecs, meilleur joueur de go, champion de poker, du jeu télévisé Questions pour un champion, conducteur irréprochable, médecin infaillible, meilleur prévisionniste des soubresauts économiques et des variations climatiques, traducteur le plus sollicité, meilleur décideur – est capable, par sa boulimie de données multiples à très haute fréquence d’acquisition et son pouvoir de simulation pour en faire sens, d’appréhender ce monde, son évolution et les meilleures façons de le remettre sur les rails.
Cette même IA, que l’on magnifie ces jours-ci de super-intelligente et qui, de surcroît, s’immisce dans tous les recoins de nos existences, est capable d’explorer, à partir de ces simulations, ces états des lieux d’une précision encore jamais atteinte, les manières les plus efficaces d’affronter l’ensemble de ces difficultés et d’en découvrir les remèdes les plus appropriés. (...)
Pour revoir l’interview d’Hugues Bersini